Cette nuit en Asie: grandes manoeuvres dans les chantiers navals coréens

Séoul enclenche un grand mécano industriel en organisant un rapprochement entre deux géants pour créer le nouveau leader mondial.

Par Yann Rousseau

Publié le 1 févr. 2019 à 8h41

Le nouveau leader de la construction navale mondiale devrait voir le jour dans les prochaines semaines en Corée du Sud. Après des mois de tractations orchestrées par le gouvernement, le géant sud-coréen Hyundai Heavy Industries (HHI) a indiqué qu'il était prêt à prendre le contrôle de Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME), le numéro deux du secteur, aujourd'hui propriété de la banque publique Korea Development Bank.

Séoul cherche à consolider sa construction navale, qui s'organise depuis des décennies autour d'une bataille féroce entre les trois conglomérats HHI, DSME et Samsung Heavy Industries. Pénalisés par le ralentissement des grandes commandes mondiales de pétroliers et de porte-conteneurs et inquiets de la montée en puissance des chantiers chinois, les trois géants coréens se sont livrés, ces dernières années, à une brutale guerre des prix qui leur a coûté des milliers d'emplois dans la péninsule.

Deux acteurs affaiblis

Particulièrement affaibli, DSME a été secouru à de multiples reprises par des injections de fonds publics et a frôlé la faillite à plusieurs reprises.Selon le plan d'intégration conçu par la Korea Development Bank, Hyundai Heavy Industries ne va pas directement absorber DSME, mais va créer un nouveau holding qui chapeautera ses propres activités ainsi que celle de son ancien concurrent.

 

La banque publique devrait transférer les 55,7 % qu'elle détient aujourd'hui dans Daewoo à cette nouvelle entité. En échange, le holding émettra de nouvelles actions et en attribuera à la banque un montant correspondant à la valeur de ces 55,7 %, soit environ 2.200 milliards de wons (1,7 milliards d'euros). Dans ce schéma, l'opération ne devrait « rien » coûter à Hyundai Heavy Industries, qui est aussi dans une passe économique compliquée. Sur l'ensemble de 2018, il a enregistré une perte nette de 633 milliards de wons, soit 50 millions d'euros. Le géant avait déjà fini 2017 dans le rouge.

Scénario risqué

Ce grand mécano industriel va nécessiter encore plusieurs semaines de tractations et va être étudiée par plusieurs autorités de la concurrence, notamment en Chine et au Japon.

La Korea Development Bank a également indiqué qu'elle ne prendrait aucune décision définitive sans avoir consulté Samsung Heavy Industries, le troisième acteur du secteur, qui pourrait être éventuellement intéressé par un rapprochement avec DSME. Pour l'instant, ce groupe n'a toutefois formulé aucune offre concurrente.

Ce vendredi, le titre de Hyundai Heavy chutait de plus de 7 % sur la place de Séoul. Les analystes jugent risqué son plan de rapprochement avec Daewoo, malgré les promesses officielles de synergies et d'économies d'échelle.

Yann Rousseau  


Les chantiers navals coréens encore convalescents


 

Les chantiers navals coréens ont enregistré en 2017 de meilleurs résultats et un rebond des commandes. 2018 s’annonce toutefois encore comme une année compliquée et incertaine.


Sur les neuf premiers mois de 2017, les principaux chantiers coréens ont affiché des résultats positifs. Retournement de situation spectaculaire, DSME a, sur le troisième trimestre, ainsi réalisé 190 millions de dollars de profits contre 171 millions de pertes un an auparavant. Ils ont également enregistré un fort rebond des commandes, lesquelles ont atteint de janvier à novembre 5,74 millions de CGT pour l’ensemble de la construction navale coréenne.
Ils ne sont toutefois pas encore tirés d’affaire. Pour preuve, la récente annonce de Samsung Heavy d’émettre pour 1,2 milliard de dollars de nouvelles actions en 2018.  
Les bons résultats annoncés étaient en effet pour beaucoup le fruit des restructurations et des allègement d’effectifs qu’ils ont entrepris. Selon la Korean Shipbuilding Association, le secteur et ses sous-traitants ont supprimé 37.000 emplois en 2016 et 35.400 sur les six premiers mois de 2017.

Contrecoup des faibles commandes de 2015

Mais sur la fin d’année, ils ont commencé à subir le contrecoup du peu de commandes enregistrées en 2015 et des tarifs serrés alors pratiqués pour attirer les clients. Les ventes d’HHI, SMI et DSME étaient ainsi au troisième trimestre inférieures de 27,3, 37 et 19,8 % à celles de l’année précédente. D’où un recul des profits de 85,6 à 295 millions de dollars et de 21,6 à 77 millions de dollars pour HHI et SMI, ce dernier prévoyant même une perte de 449 millions de dollars pour l’année. Ce phénomène va en effet se faire pleinement sentir sur la fin 2017 et 2018.
Or dans le même temps, ils sont confrontés à une hausse du prix des plaques d’acier et à une difficulté grandissante à dégraisser tandis qu’ils ont un coût de main-d'œuvre plus élevé que leurs voisins, Japon excepté, et que les retraites d’employés autrefois pléthoriques pèsent sur leurs comptes.


"37.000 emplois supprimés en 2016 et 35.400 sur les six premiers mois de 2017"


De plus, il n’est pas dit que les commandes continuent à croître en 2018. "Le marché restera mitigé avant de repartir graduellement les années suivantes", estime April Kim de la Korean Shipbuilding Association. Par ailleurs, la concurrence sur les prix est féroce. De la part des chantiers chinois auxquels Pan Ocean vient par exemple de confier la construction de six navires de transport de minerai parce qu’ils étaient 10 % moins cher. Mais aussi et c’est nouveau de la part des chantiers singapouriens, Sembcorp Marine ayant remporté la construction de la coque et des quartiers d’habitation d’une plateforme pétrolière pour Statoil. "Il se dit qu’ils étaient moins chers de 100 millions de dollars. C'est inquiétant pour l'avenir car nous ne pouvons pas nous aligner sur de tels prix", souligne April Kim. Un écart attribué à l’emploi par les Singapouriens d’une main-d’œuvre à bas coût recrutée en Malaisie, en Inde et au Pakistan. Autre menace, pour être plus compétitif, Kawasaki Heavy Industries a décidé de réduire le pourcentage de navires réalisés au Japon de 40 à 25 % pour concentrer le reste dans sa filiale chinoise Nacks, un exemple que pourraient suivre d’autres chantiers japonais.
Les chantiers coréens attendent toutefois beaucoup du programme de modernisation de la flotte marchande du pays que le gouvernement a annoncé vouloir subventionner. Des rumeurs insistantes attribuent ainsi à HMM la volonté de commander par ce biais 10 à 20 navires en 2018. "Nous attendons d’avoir plus d’informations de l’État", confie April Kim. Ils espèrent aussi que la limitation des émissions de soufre va doper les ventes de navires à propulsion LNG et des plateformes FRSU, créneau sur lequel il se targuent d’être les spécialistes. "Mais les commandes sont pour l’heure encore limitées", tempère April Kim. De plus, les Chinois ont en partie comblé leur retard technologique en la matière grâce au recrutement d’ingénieurs licenciés par les chantiers coréens. La méga-commande de porte-conteneurs de CMA CGM le prouve.
Certains analystes estiment donc que les chantiers coréens ne devraient plus tout miser sur le haut de gamme, d’autant que les nouvelles réglementations environnementales prévues vont imposer de lourdes dépenses aux armateurs, les amenant selon eux à privilégier le prix dans leurs achats des années à venir.


Thierry Joly


 

Mercredi 17 Janvier 2018


Jean-Lucien©Tous droits réservés  

Photos des chantiers navals DSME et HYUNDAI