Le porte-avions Charles de Gaulle aura un successeur en 2038

En visite au Creusot mardi, le président de la République a donné le coup d'envoi à la conception et la construction du successeur du porte-avions Charles de Gaulle, à livrer en 2038. Une enveloppe de 900 millions est prévue d'ici à 2025.

Par Anne Bauer

Publié le 8 déc. 2020 à 17:00Mis à jour le 9 déc. 2020 à 8:38

La France n'en a qu'un, mais elle y tient. Son porte-avions « Charles-de-Gaulle » est un outil diplomatique sans équivalent. Il lui permet de jouer dans la cour des grands, quand seuls les Etats-Unis, la Chine, la Russie et maintenant la Grande-Bretagne possèdent de telles plates-formes. On compte aujourd'hui 28 porte-avions ou porte-aéronefs dans le monde, dont onze appartiennent aux Etats-Unis, la Chine étant en train de construire son quatrième porte-avions. Au vu des déclarations des uns et des autres, on peut tabler une petite quarantaine de navires de ce type à l'horizon 2040. Chacun connaît la formule : « un porte-avions, c'est 42.000 tonnes de diplomatie », mais de fait, il s'agit bien d'un outil de maîtrise des espaces aéromaritimes, de renseignement et de projection au service du politique. Comme le remarque l'ex-pacha, Marc Antoine de Saint-Germain, « mettre une frégate dans une région contestée ou mettre le 'Charles-de-Gaulle', ce n'est pas le même signe que vous envoyez ».

Mise en service en 2038

La fin de vie de l'actuel porte-avions français à propulsion nucléaire étant programmée dans les années 2040, il est temps de lancer le développement de son successeur. Les avant-projets, sommaire et détaillé, mèneront jusqu'à 2025 et devraient réclamer une première tranche de 900 millions d'euros, dont 117 millions de budget en 2021. Au-delà, on parle d'un bâtiment qui coûterait quelque 450 millions d'euros par an pendant la durée de sa construction, soit un investissement global d'au moins 5 milliards d'euros. Mais à ce stade, le ministère des Armées déclare qu'il faut attendre de plus amples études pour avoir une vision plus précise de la facture complète, la construction devant s'achever en 2036 pour une entrée en service en 2038.

Des pontées de 25 avions de chasse

Les grandes lignes du futur « Charles » sont définies : le navire sera un tiers plus imposant avec une masse de 75.000 tonnes contre les 42.000 tonnes actuelles, avec une longueur de 300 mètres capable d'emporter 30 avions de chasse et d'en catapulter 25 par pontées. Il s'agira des Rafale lesquels seront progressivement remplacés par l'avion de chasse franco-allemand de nouvelle génération actuellement à l'étude. Ce SCAF (avion et drones associés) devrait être plus lourd que l'actuel Rafale, ce qui explique la nécessité d'un pont et d'un navire plus massif, « à l'américaine ».

Pour le reste, le nouveau porte-avions doit rester au « format » actuel avec un équipage de quelque 2.000 marins, dont 1.100 pour l'équipe de conduite et 500 pour le groupe aéro-embarqué. Il restera attaché au port de Toulon, ce qui réclamera des travaux afin d'adapter les infrastructures. Sa vitesse, de 27 nœuds, sera identique et son mode de propulsion sera aussi nucléaire.

Un nouveau modèle de chaufferie nucléaire

Néanmoins, le bateau étant plus gros, les ingénieurs du nucléaire auront un défi à relever : fabriquer une chaufferie plus puissante. Actuellement, le porte-avions se déplace avec deux réacteurs nucléaires K15, des chaufferies très compactes de 150 MW de puissance. Demain, il y aura aussi deux chaufferies mais de modèle K22, dotées d'une puissance de 220 MW.

Ces dernières devront permettre au futur porte-avions d'avoir une autonomie de quasiment 10 ans. Il ne faudra recharger le cœur du réacteur que tous les dix ans contre 7 à 8 ans actuellement. Ainsi le navire doit garder un taux de disponibilité de 65 % minimum sur toute sa durée de vie. La propulsion nucléaire devrait représenter au bas mot quelque 20 % du coût du porte-avions, voire 25 %.

Catapultage, négociations en cours avec General Atomics

L'autre équipement majeur, qui coûte une fortune, est le système de catapultage des avions. Mais cette fois-ci, la France fait appel à des compétences américaines. C'est General Atomics, qui développe un nouveau système de catapultage électromagnétique à la place de catapulte à vapeur, qui sera sollicité. Les discussions doivent encore être finalisées pour ce système qui vient de se qualifier sur le porte-avions américain Ford. Là, certains évoquent un coût de l'ordre du milliard d'euros. Paris ne confirme, ni n'infirme. Rappelons que tout l'art d'un porte-avions est de pouvoir catapulter à toute vitesse ses avions de chasse. Aujourd'hui, les Rafale quittent une piste de 75 mètres de long en deux secondes. La négociation avec General Atomics va s'intensifier autour d'une part «française» de travail et d'un transfert de technologie partiel.

2.000 équivalents temps plein

Au ministère de la Défense, on évoque un projet qui va mobiliser quelque 2.000 emplois à temps plein sur toute la durée du projet, dont 400 personnes à Saint-Nazaire pour la construction de la coque dans Les Chantiers de l'Atlantique et 1.400 personnes chez Naval Group et TechnicAtome. Et on insiste sur la défense d'une maîtrise unique en Europe : la propulsion nucléaire navale, indispensable à l'autonomie stratégique française. Le « Charles-de-Gaulle » est « l'étendard de la souveraineté française », mais on peut rêver qu'en 2040, avec des avions non plus franco-français à bord comme le Rafale, mais européen comme le futur SCAF, il pourra aussi jouer un rôle d'agrégateur de volonté et politique européenne.

Anne Bauer