Le 15/03/2020 Anecdote de Jean-Yves RENAUD
Le Covid-19 nous incitant à rester devant l'ordinateur je propose une anecdote que probablement personne de l’AICCA ne connaît.
L'anecdote qui suit s'est déroulée aux Chantiers de la Perrière mais on peut considérer qu'elle concerne l'AICCA à 2 titres. D'une part les Chantiers de la Perrière ont été absorbés par Leroux Naval... puis finalement par Chantiers de l'Atlantique. D'autre part, du temps où j'étais à l'Etablissement Mécanique nous fournissions des moteurs aux Chantiers de la Perrière
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Au milieu des années 60, à une époque où il avait de la peine à remplir son carnet de commandes, le Chantier de la Perrière à Lorient prit la commande d’un superbe yacht pour monsieur Georges Lucas. (Un homonyme de celui de Star Wars.) Il s’agissait d’un voilier en alliage léger de 34 mètres (ou 38,7 mètres selon les sources). A sa livraison en 1968 Talofa fut le plus grand yacht du monde en alliage léger. Ce yacht ne résolut pas les difficultés du chantier. La spécification s’avéra pleine de pièges au coût insoupçonné. Par exemple, il était demandé que le bec verseur des lavabos soit en or massif et représente une gueule de lion. Pas facile de trouver un fournisseur. Il fallut aller en Italie et payer à prix d’or deux fois. Une première pour le métal et une deuxième pour la main d’œuvre. Et Georges Lucas était intraitable. Tout devait être fait selon son bon plaisir. Quand il venait voir l’avancement des travaux et que ça ne lui plaisait pas, même si c’était conforme à la spécification il fallait refaire. Quand quelqu’un du chantier lui tenait tête, il disait «Comment vous appelez-vous? Un mot de plus et je rachète le chantier et je vous mets dehors !»
Après quelques mois à ce régime, tous les employés du chantier étaient terrorisés. Dans cette ambiance tendue, quelques jours avant la livraison monsieur Guillaume (le responsable de la construction du yacht qui m’a raconté cette anecdote) le fit visiter à un petit groupe. Au milieu du carré dont le sol représentait une rose des vents en marqueterie se trouvait le fauteuil de Georges Lucas. Un fauteuil grandiose sur le dossier duquel étaient brodées les deux grandes initiales du futur propriétaire: G.L. Dans ce contexte de stress permanent, en regardant le fauteuil un des visiteurs fit une petite remarque qui fut très appréciée: «Ah, vous achetez vos meubles aux Galeries Lafayette?»
Si les Grecs m’étaient contés, trois anecdotes par Jean-Yves Renaud
Un dimanche de juin 1974 j'ai embarqué sur le pétrolier grec Evgénia Chandris au large de Saint-Nazaire. Le pétrolier faisait des ronds dans l'eau au ralenti. Impossible de monter en allure. Dès que j’ai eu fini de réparer le pétrolier augmenta sa vitesse vers le large sans s'occuper de moi. Destination: le Golfe persique. J'appelais alors désespérément le bateau pilote pour débarquer... Finalement comme toujours ça s'est bien terminé, mais j’avais en mémoire l’histoire d’un collègue de la Mécanique. Mr Sémeri (j'ai oublié son prénom) travaillait alors chez un fabricant de turbo-alternateurs. Intervention sur un pétrolier grec pour remplacer le rotor d’une turbine. La caisse avec la pièce neuve attend sur le quai. Le bateau arrive. Pour faire des économies l’équipage décide de lever la caisse avec les moyens du bord... L’élingue casse... et la caisse disparaît dans l’eau entre le quai et le bateau sous les yeux horrifiés de mon collègue et de son adjoint. Il décide alors – pour que le bateau puisse naviguer dans des conditions de sécurité acceptables - d’ouvrir la turbine pour faire une réparation provisoire. Après 36 h de boulot non-stop, l’affaire se présente bien, mais monsieur Sémeri et son adjoint sont fatigués. Ils décident de faire un petit somme avant de refermer la turbine… Lorsqu’ils se réveillent ils sont en mer, en route pour le Golfe Persique (3 semaines de voyage). Le commandant a décidé d’appareiller sans les prévenir (malgré un turbo-alternateur indisponible !). Et à bord, pour avoir autre chose que de l’eau à boire, ou pour faire laver leur linge il leur faut payer !!!
Une autre aventure.
Au début des années 80, pour occuper les ouvriers de son chantier de Skaramanga lors d'une période de sous-charge Niarchos leur a fait construire son nouveau yacht. Atlantis II. 115m de long. Encore aujourd'hui un des plus grands du monde. Je suis allé en Grèce pour l'automatisation de ce Yacht équipé de moteurs Pielstick. A cette occasion j’ai assisté à une soirée chez le ministre grec de la marine. Il y avait du beau monde. Au cours de cette soirée je me souviens d’une discussion avec un armateur grec de pétroliers qui m'avait pris en sympathie. Il avait fait fortune pendant les recommandations d’embargo (C'était avant l'embargo total.) sur l’Afrique du Sud de la façon suivante : Achat d’un pétrolier en fin de vie. Chargement au Golfe Persique avec intention officielle de débarquer la cargaison à Rotterdam. Déchargement en Afrique du Sud au prix fort compte tenu de l’embargo. Retour en mer, et sabordage du navire assuré à plus que sa valeur réelle. Il gagnait sur les deux tableaux. (C'était avant qu'on suive les navires à l'aide des satellites et de l'AIS.)
Et pour terminer une 3e anecdote, à la gloire des grecs.
Un jour j’ai reçu un télex de commande de la part d’un chantier grec pour que je délègue un technicien au Pirée afin de vérifier la télécommande livrée quelques années auparavant sur un car ferry scandinave construit au chantier Dubigeon (Svea Corona, Wellamo ou Bore Star. Je ne me souviens plus lequel des trois). Or, je savais que l’année précédente ce car-ferry avait coulé au Canada dans le Saint-Laurent. Le bateau s’était posé sur le fond . Donc la machine et «mes» armoires avaient baigné dans l’eau. Tout était à jeter… Pour répondre à cette commande j’ai envoyé un technicien qui en Grèce a appris la suite. Le bateau avait été acheté à un prix de misère par une société grecque. Il avait été renfloué, puis remorqué jusqu’en Grèce. Là, sans plans les rois du système D avaient tout démonté, repéré, remplacé par des composants neufs, remonté, câblé, tuyauté… et simplement pour le redémarrage ils demandaient assistance. Et tout a quasiment marché du premier coup. Chapeau!